LST et Abahlali BaseMjondolo : même combat

LST et Abahlali BaseMjondolo : même combat

A l’ occasion du 50e anniversaire de l’Organisation Non Gouvernementale Entraide et Fraternité, qui soutient des acteurs locaux dans une quinzaine de pays du Sud, et des 40 ans de l’Action Vivre Ensemble, qui appuie des actions contre la pauvreté et l’exclusion chez nous, dont Luttes Solidarités Travail, des partenaires de ces deux initiatives ont été invités dans notre pays pour expliquer leurs combats et leurs attentes, ainsi que pour rencontrer des acteurs de terrain. D’où notamment la visite à et avec L.S.T. de la Sud-Africaine Zodwa Nsibande.

Agée de 26 ans, Zodwa Nsibande habite depuis 2003 dans le quartier de Kennedy Road, à Durban, grande ville portuaire d’Afrique du Sud, où elle est arrivée du Nord de la province du KwaZulu Natal pour faire des études en technologies de l’information, avant d’en poursuivre dans les domaines du développement communautaire et de la politique du logement. Dès 2005, sa maman et elle se sont jointes au groupe de militants qui a créé Abahlali BaseMjondolo. Comme son nom l’indique, celui-ci réunit des habitants de bidonvilles, qu’Abahlali préfère appeler « peuplements informels ». Avec l’appui d’Entraide et Fraternité, il s’est engagé dans la lutte pour la défense des droits économiques et sociaux des marginalisés. Il compte quelque 25.000 membres dans le KwaZulu Natal et principalement à Durban, mais aussi au Cap. Il fait partie des groupes qui sont nés après la fin de l’apartheid, ce système politique qui a prôné- comme son nom l’indique et de 1948 à 1994 – le développement séparé des Blancs et des Noirs, mais aussi des Indiens et des Métis, en emprisonnant de nombreux opposants, dont Nelson Mandela, qui devint président à la suite des premières élections démocratiques de 1994.

Un apartheid entre riches et pauvres

A la question de savoir ce que la fin de l’apartheid a apporté, Zodwa a signalé en premier lieu le droit pour tous les 45 millions d’habitants de pouvoir dorénavant circuler partout dans le pays, tout en notant que ce droit est évidemment lié aux moyens financiers très différents des uns et des autres. A cela s’ajoute la liberté d’expression, dont elle a aussi indiqué des limites. En effet, le gouvernement formé par l’African National Congress, mouvement de Mandela et de ses successeurs, est loin de prendre en compte toutes les interpellations des citoyens. Or, selon Zodwa, il y a encore en Afrique du Sud un apartheid ….entre riches et pauvres, vu que 45 % de travailleurs sont sans emploi et que 15 % n’ont que des emplois précaires ou même seulement journaliers. D’où les difficultés liées à la vie dans les villes et leurs périphéries, spécialement dans les lotissements informels, mais aussi dans les quartiers où des habitations ont bien été construites depuis 1994 par les pouvoirs publics. Plus grands encore sont les problèmes rencontrés dans les régions rurales éloignées et dans les grandes fermes et vignobles. En effet, ces grandes exploitations continuent d’être souvent gérées par des Blancs qui ne respectent certainement pas tous les droits inscrits dans la constitution et les lois.

Dans ce contexte, nombreux sont les gens qui doivent construire des baraques dans les lotissements informels situés à la périphérie des villes, mais baraques desquelles la police ne peut les expulser que durant les premières 24 heures de leur installation. De plus, du fait du dramatique manque de logements et du droit à l’eau inscrit dans la constitution, les communes placent des pompes aux abords de ces lotissements informels. Mais il n’y a souvent pas de distribution d’électricité ou seulement des prises de celle-ci par des câblages de fortune et illégaux. Quant aux bénéficiaires des logements sociaux, même s’ils n’ont pas de loyers à payer, ils n’ont souvent pas les moyens pour régler leurs factures d’électricité ou même les pré-paiements, du fait qu’ils sont le plus souvent sans emploi. Et louer à des propriétaires privés s’avère encore plus onéreux.

Raviver la dignité des gens

De là la création et les actions du mouvement Abahlali Base Mjondolo, dont les membres ont été victimes de violences et de poursuites judiciaires de la part des autorités. «Toutefois, a confié Zodwa, même si nous ne sommes très frustrés de ne pas être écoutés par les pouvoirs publics, si nous avons connu de graves problèmes durant nos actions et si les changements de situations tardent à venir, je suis optimiste. Car un mouvement comme le nôtre restera nécessaire en Afrique du Sud tant qu’il y aura des pauvres. En tout cas, notre premier objectif est bien de raviver la dignité des gens qui sont marginalisés et spécialement celle des habitants des logements informels, mais aussi celle des bénéficiaires des habitations sociales appartenant souvent à la classe moyenne. »

Aussi, Zodwa a estimé fort intéressante ses visites au siège de L.S.T. à Namur et au Domaine de Pincemaille à Binche. A Namur, elle a relevé tout ce que le travail en réseau demandait d’énergie, mais aussi d’analyses et de clairvoyance face aux autorités et aux autres acteurs de la société civile. A Binche, elle a échangé avec Maria qui lutte pour pouvoir continuer à vivre dans son chalet construit sur un terrain ne lui appartenant pas et alors qu’elle est menacée de devoir partir à cause du plan H.P. de la Région Wallonne.

Zodwa a particulièrement apprécié la soirée « Cave » à laquelle elle a participé à L.S.T. Andenne. Par traducteurs interposés, elle s’y est efforcée d’écouter et de comprendre les récits de vies et d’actions des unes et des autres. Elle y a aussi présenté ce qui vient d’être résumé plus haut. De plus, en réponse à toutes les questions qui lui avaient été posées, elle a encore signalé que les conditions de vie pouvaient évidemment différer d’un lotissement informel à l’autre, voire même d’une famille à l’autre, mais qu’il y avait toujours des petits magasins à proximité et que les familles parvenaient à se nourrir une ou plusieurs fois par jour ou encore à effectuer lessives et autres tâches ménagères.

De même, Zodwa et Claude Mormont, directeur du Département International à Entraide et Fraternité, n’ont pu que confirmer les similitudes existant entre L.S.T. et Abahlali BaseMjondolo. Cela est particulièrement le cas des « Caves » et de « l’Université d’Abahlali Base Mjondolo », car il s’agit bien là de deux lieux permettant échanges et analyses au départ des vécus et des actions des personnes qui y participent ainsi que, pour reprendre les termes employés par Zodwa, «de lieux où chacun est aussi un professeur » et où il y a de vrais « Retours à l’école ».

A signaler aussi qu’en plus de la lutte contre les expulsions et contre le contrôle des informations publiques prôné par les pouvoirs publics, mais contraire au droit reconnu à l’information, ainsi que du soutien apporté à des membres lors de leurs arrestations, Abahlali Base Mjondolo a mené des « Unfreedom days ». Pareille appellation fait en fait écho au « Freedom Day » ou Journée de la liberté, ce jour férié commémorant celui des premières élections démocratiques non- raciales d’avril 1994. A noter encore que Zodwa et ses compagnons se sont engagés dans la lutte contre la xénophobie pour défendre des Africains arrivés en Afrique du Sud d’autres pays du continent noir, dont le Zimbabwe frappé par une déjà longue crise politique. Ils entendaient rappeler ainsi que de nombreux Sud-Africains avaient trouvé refuge dans de ces pays quand ils luttaient contre l’apartheid et qu’il y a donc un devoir de réciprocité. En outre, Abahlali Base Mjondolo a contribué au mouvement de solidarité international en faveur des Haïtiens après le tremblement de terres de janvier 2010.

D’où cette conclusion de Zodwa venue chez nous d’une encore très jeune démocratie, mais se sentant très proche de ce qui est mené ici à des milliers de kilomètres de chez elle : « Il est vraiment important de développer la solidarité entre celles et ceux qui luttent ici et dans les pays du Sud. Que cela se fasse par emails, informations sur les revendications et les actions, communications de prises de positions, marques de solidarité. Car, en Afrique du Sud, le gouvernement se sent pour le moins embarrassé quand des réactions viennent de l’étranger…. ».

Voir : www.abahlali.org